Arnold Schönberg est un compositeur dont la musique est souvent jugée difficile et peu accessible. Cela tient au dodécaphonisme, technique musicale qu’il a inventée et mise en œuvre à partir de 1923, et qui donne la même importance à toutes les notes en supprimant la notion de tonalité, d’où un certain désarroi à l’écoute d’une musique qui bouleverse les règles de l’écriture musicale.
Mais La Nuit Transfigurée (Verklärte Nacht), sextuor à cordes composé en 1899, est une œuvre de jeunesse (Schönberg a 25 ans), écrite en trois semaines, dans les règles de la musique tonale, à la manière des grands romantiques allemands, et dans laquelle on perçoit l’influence de Brahms et de Wagner. On peut la considérer comme une œuvre post-romantique, marquant peut-être le sommet et la fin du romantisme en musique.
C’est une œuvre de musique de chambre dont la conception s’inspire des poèmes symphoniques, c’est-à-dire inspirée par un texte, à la manière de ceux écrits par Richard Strauss en 1898, et que Schönberg prenait pour modèle, tout comme les œuvres de Gustav Mahler. Avec ce sextuor, Schönberg innove en utilisant, dans une œuvre de musique de chambre, une nouvelle façon d’écrire de la musique symphonique. Comme l’a lui-même écrit le compositeur, l’œuvre a « gagné en qualités qui peuvent satisfaire un auditeur ne sachant pas ce qu’elle prétend décrire, ou, en d’autres termes, elle offre la possibilité d’être comprise comme de la musique pure ». La Nuit Transfigurée est d’une grande intensité expressive. Schönberg l’a écrite d’après un poème de son ami Richard Dehmel, extrait du recueil La Femme et le Monde. C’est un couple d’amoureux, une nuit dans une forêt froide. La femme avoue attendre un enfant d’un autre homme. Elle se sent coupable et compromise mais son amant accepte l’enfant qu’il est disposé à faire sien. Il lui assure que leur amour sera aussi solide que s’il était le père de l’enfant. Ils s’étreignent. Le couple poursuit sa promenade, sous la lune, heureux, dans cette nuit transfigurée.
La Nuit Transfigurée écrite dans la tonalité principale de ré mineur, est en cinq mouvements enchaînés.
- Mouvement très lent, le couple marche sous le clair de lune. Thème d’introduction.
- Plus animé, présentation du thème principal. La femme révèle qu’elle attend un enfant. Phrase chargée d’expression dramatique donnant lieu à un long développement dont le sommet d’intensité correspond à un dialogue tourmenté entre les cordes graves et aigües.
- L’attente de la réaction de l’homme, courte période de transition basée sur le retour du thème d’introduction lourdement martelé.
- Glissement harmonique sur un ré majeur lumineux. Le second thème principal apparait dans une texture d’une grande transparence, par un bruissement des cordes avec sourdine. Cette quatrième partie est la réponse de l’homme dont l’amour triomphe de l’épreuve. Elle se poursuit en un long duo qui débouche sur un nouveau sommet passionné avec le retour du premier thème transfiguré par le mode majeur.
- La cinquième partie est une longue coda qui conclut cet hymne à la nature et à la rédemption par l’amour, lointain écho d’un thème wagnérien.
Références : Guide de la musique de chambre (Fayard), Wikipédia, Richard Osborne (Deutsche Grammophon).